L'Eve de Tomas

Publié le par mina

Eve n'était pas la première femme. C'était la première personne.  Avant, il n'y avait que des déformations du monde prenant des apparences de femmes. Il n'y avait que deux choses: lui et le reste. Un reste mouvant, spectaculaire.

Eve existait. C'était quelque chose de nouveau, qui vivait à part lui sans disparaître. Au delà de cette proximité qui accorde deux êtres mais en deçà du silence. Hors du soi et détachée du magma essentiel.

Venue un matin de mai. Pas de bagage. Ni billet. Ni carte d'identité.
On dit: clandestinement.

Puis le monde a su et s'est dressé. Eve allait pieds nus mais toujours avec des chaussures à la main. Un jour, elle s'est brisée un ongle. Eve s'est échappée. La grève hurle dans les allées du jardin public. Les herbes aussi. Et les chats.
Eve a les yeux qui brillent.

Sur la porte de ma chambre, la peinture s'écaille. J'en retrouve la poussière au bout de ses doigts. La nuit elle ne dort pas, elle chante. Donne du lait au hérisson qu'on a trouvé une fin de soir au pied du petit buis.

Eve vient parfois chanter sous mes fenêtres. Elle n'a pas besoin de moi. Est-ce que j'ai besoin d'elle?

Y a les empreintes de ses pieds. Là où il manquait des pavés que je ne mettrai plus. Parfois si je m'éveille, j'entends le bruit étouffé de ses pas, le robinet qui goutte (Eve n'a jamais su fermer un robinet). Sous mon oreiller sa chemise. Jamais lavée, mais je ne suis pas fragile. Je l'aime mais je ne suis pas fragile. Elle est absente parce qu'elle existe, et parfois elle existe près de moi, et alors elle porte toujours cette chemise. Pour l'odeur, oui. Mais. Pour que l'odeur reste, oui. Mais: celle là de maintenant, emprunte du monde qui se dépose un peu là par le travers de son corps.

Eve est la coupure. Elle va, pour sans cesse ouvrir la fermeture éclair. Elle est la faille par laquelle surgissent les identités. Eve n'est pas la première femme, non: c'est la première personne.


 

 

Publié dans textes et cris

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M
Je suis très sensible à cette Eve là, très...
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O
Magnifique cette Eve pied-nu dans la nuit, donnant du lait au hérisson.
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P
chouette, Tomas. Je lis...
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