l'Eve de Mina

Publié le par mina

  Eve n’était pas la première femme. Pas pour lui. Il avait ses habitudes, ses manies. Il savait comment parler, comment dire les mots sans cesse répétés et les renouveler pour l’instant, pour faire céder la jolie. Cérémonial avec le ciel pour témoin, parade sexuelle originelle. 

   Il aimait surtout le moment unique où il embrassait pour la première fois, le premier goût, la première impression au touché de la langue, la peau suggérée plutôt que montrée, les parcelles susurrées entre deux digues de tissus.

  Après, il se sentait presque obligé, par politesse. Le sexe, la mécanique de pénétration, tout ceci était plus prévisible, plus répétitif. Il n’avait plus le plaisir de la découverte, de la découvrir, d’attendre le signe de cession. 

   Eve dormait, appuyée sur ses côtes, contre lui. Il l’avait à peine touchée, juste le temps de dénouer ses liens, et elle s’était endormie, rompant l’habitude en étant assez libre pour se laisser aller au grand sommeil. 

   Adam ne savait plus que faire, ne voulait pas s’en aller, lui qui fuyait systématiquement les paradis artificiels des corps féminins.

  Et pourtant, Eve n’était pas la seule femme. Il en avait vu défiler dans son monde lissé. Pas besoin de semer, il suffisait de se pencher pour les cueillir. L’abondance.

  Cette femme ne lui avait pas demandé davantage d’efforts, elle n’avait pas dit grand-chose. Il l’avait choisie simplement pour ses couleurs. Le ridicule de leurs deux noms associés l’avait retenu, puis le visage impassible d’Eve lui avait promis des violences sans douleur. (Il ne promettait rien, préférant le silence aux mensonges.)

  Eve n’était pas la première femme couchée près de lui, mais elle était la première qu’il n’avait pas prise ; étrange sensation, comme un morceau coincé dans la gorge.

  Eve n’était pas la première femme, mais Adam sut, les yeux ouverts sur ce corps à moitié caché et impudiquement endormi, qu’il était un nouvel homme. 

   Il retira le drap, contempla le sexe, l’origine, et il plongea en entier.

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«  Bienvenu dans mon cirque, mon cabaret ridicule,

  Ce soir vous faites l’homme fort

 

   Et moi, je joue les funambules.

  - L’homme fort, sachez,

  Doit d’abord avoir l’air de faire un grand effort,

  En silence il danse tout seul avec la mort.

  - Et cependant, je continue à risquer ce qui bouge dans mon ventre,

  Vous êtes si stoïque et moi si imprudente.

  - C’est si burlesque, si pittoresque,

  L’homme fort et la jeune funambule,

  Jouant à la cachette dans un hôtel qui brûle. »

                                Lhasa et Arthur H. , « On rit encore »

Publié dans textes et cris

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A
C'est un romantisme pragmatique qui nous est calmement dévoilé, une douce atmosphère d'apaisement, un espace de no man's land entre Femme et Homme.<br /> Joli joli.
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N
Sans doute devrait-il la regarder dans les yeux,et lui dire sous son chapiteau,cette vérité qui le brûle de l'intérieur.Tout simplement.Pourquoi ce stoïcisme ?Ne dit-on pas des stoïques aux yeux secs qu'ils volent embrasser la mort...
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M
Je n'ai pas les réponses à vos questions qui n'en sont pas.
G
"on rit encore",j'en frissonne encore ....... des cerises plein les poches,à l'envers,a l'endroit,où l'on dévale,où l'on cavale,où l'on se perd dans les rires,dans les larmes...je suis saisis
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M
...
G
tellement désirable...il arrêta de danser en silence pour y plonger tout entier.Elle était plus forte que la mer...Vos mots n'ont rien a envier à ceux d'A.H.<br />
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M
Elle est née de la mer, comme n'importe quel être vivant. Elles ne peuvent donc pas se retourner l'une contre l'autre.
U
"Après, il se sentait presque obligé, par politesse". Baisser la vitre, ou monter le son.
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M
...J'attends votre Eve.